Deux nouveaux arrêts de la Cour de cassation réunie en Chambre mixte viennent de définir 2 nouveaux postes de préjudices : le préjudice d’attente et d’inquiétude, d’une part, et le préjudice d’angoisse de mort imminente, d’autre part. Ces arrêts auront un impact important sur l’indemnisation des victimes d’accidents et de leurs proches.
Préjudice d’attente et d’inquiétude et préjudice d’angoisse de mort imminente
Le préjudice d’attente et d’inquiétude
Dans une première affaire, la fille d’une des victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais à Nice demandait réparation, pour elle et ses deux filles, du préjudice d’attente et d’inquiétude qu’elles avaient subi le temps d’être informées du décès respectivement de leur mère et de leur grand-mère. La Cour de cassation a décidé que le préjudice d’attente et d’inquiétude existait de façon autonome, indépendamment du préjudice d’affection.
Inspiré du concept de « préjudice situationnel d’angoisse des proches (PSAP) » du professeur Porchy-Simon, le préjudice d’attente et d’inquiétude concerne seulement les victimes indirectes (conjoints, familles de la victime directe). Il ne se confond pas avec le préjudice d’affection, qui naît après la connaissance du décès ou de la maladie. Le préjudice d’attente et d’inquiétude naît de la situation d’incertitude qui précède la mort (ou la survie) d’un proche.
Le préjudice d’angoisse de mort imminente
Peut-on demander l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente indépendamment du poste des souffrances endurées ? Dans cette affaire, où un homme est décédé après avoir été poignardé à plusieurs reprises, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette question. Elle a considéré que les souffrances endurées par la victime d’une part, et l’angoisse qu’elle avait ressentie en prenant conscience qu’elle allait mourir (préjudice d’angoisse mort imminente) d’autre part, devaient être considérées comme deux préjudices distincts et autonomes. Cette définition du préjudice de mort imminente ne doit bien sûr pas être confondue avec la simple conscience qu’on mourra un jour.
Le préjudice d’angoisse de mort imminente est lui aussi, à sa manière, un préjudice « situationnel ». Il ne se confond donc pas avec les souffrances endurées par une personne mais s’y ajoute. Les proches de cet homme ont donc pu obtenir une indemnisation au titre des deux différents préjudices subis par la victime.
Une avancée importante pour toutes les victimes d’accidents corporels
Par son arrêt du 25 mars 2022, la Cour réunie en Chambre mixte a donc, de fait, ajouté deux nouveaux préjudices à la liste des 29 préjudices qui figuraient déjà dans la nomenclature Dintilhac, texte de référence en matière d’indemnisation des préjudices corporels. Elle étend considérablement les possibilités de réparation en matière d’accidents.
Quelles sont les dommages concernés ?
Les victimes directes d’accidents corporels peuvent invoquer le préjudice d’angoisse et d’inquiétude pour obtenir réparation. Leur entourage pourra quant à lui invoquer le préjudice d’attente et d’inquiétude d’autre part. Il s’agit de deux préjudices temporaires, résultant d’une situation vouée à prendre fin.
Crée en 2005, la nomenclature Dintilhac prend en compte toutes les répercussions liées à votre dommage corporel, tant au plan financier qu’au plan physique, psychique, professionnel et familial. Les préjudices d’attente et d’inquiétude et d’angoisse de mort imminente ne se limitent donc pas aux actes de terrorisme mais concernent tous les accidents corporels.
Les victimes d’accidents de la voie publique, d’accidents du travail, de traumatisme crânien ou encore d’agression physique pourront demander réparation à ce titre, ainsi que leurs proches. Les préjudices à réparer pourront être patrimoniaux ou extra-patrimoniaux.
Mais en matière de préjudice d’angoisse de mort imminente, jusqu’à présent, la jurisprudence s’est surtout prononcée dans des cas de décès, à la demande des ayant-droits des victimes agissant en tant que victimes par ricochet et non pas des victimes survivantes. Pour sa part, le Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI) a déjà annoncé que les victimes survivantes pourraient être indemnisées du préjudice d’angoisse de mort imminente. A première vue, il n’est pas nécessaire que l’évènement redouté advienne effectivement puisque c’est justement l’incertitude quant à son propre sort qui définit ces deux dommages.
Comment obtenir réparation au titre de ces nouveaux préjudices ?
Il existe une grande diversité dommages et les situations des victimes sont toutes très spécifiques. Pour obtenir réparation, la victime devra apporter la preuve du dommage causé par l’évènement en question dans sa vie. Dans le cas du préjudice d’attente et d’inquiétude, il faudra par exemple démontrer que l’incertitude quant au sort d’un proche a provoqué chez la victime l’apparition d’une souffrance morale, et que cette souffrance morale s’est traduite par des troubles du comportement ou par une dépression.
Le droit prend également en compte les éventuelles répercussions économiques que peuvent avoir les dommages corporels, ainsi que les préjudices professionnels (perte de gain professionnels actuels ou futurs). Un chef d’entreprise ayant frôlé la mort puis manqué par la suite une affaire importante pour l’activité économique de sa société pourra par exemple demander à être indemnisé à ce titre.
Le juge ne se prononcera que sur les préjudices invoqués par l’avocat de la victime. Pour caractériser le dommage et définir la nature exacte du préjudice, l’avocat sollicitera une expertise médicale. La nomenclature Dintilhac offrira une grille de lecture commune à ces différents acteurs du droit et permettra le calcul du montant de l’indemnisation.
Cette grille, rappelons-le, n’est pas limitative et n’est pas un texte de loi mais simplement un guide pour les magistrats. Elle semble par sa nature-même, vouée à viser des dommages de plus en plus spécifiques et de plus en plus nombreux. Néanmoins, il ne faudrait pas à l’avenir que la multiplication des postes de préjudices conduise à une baisse des montants d’indemnisation. L’esprit du droit de la responsabilité civile tend à réparer « tout le dommage, rien que le dommage ».