Une victime d’un accident corporel a deux possibilités pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices : la voie amiable ou la voie contentieuse. Chacune de ces deux possibilités présente des avantages et des inconvénients, mais parfois la victime n’aura guère le choix et devra se contenter d’une voie contentieuse.
En effet, en premier lieu, il convient de signaler que la possibilité d’une transaction n’existe que lorsque la partie adverse ne conteste pas le droit à réparation. La voie transactionnelle est donc très généralement ouverte en matière d’accident de la voie publique, ou lorsqu’une victime bénéficie d’un contrat d’assurance garantissant les conséquences de l’accident survenu (par exemple, une garantie des accidents de la vie privée).
En revanche, dans la plupart des autres situations, la voie contentieuse (j’inclus ici la saisine des Commissions de Conciliation et d’Indemnisation des Accident Médicaux) est incontournable. En effet, il faut alors faire trancher par le juge la question du principe du droit à réparation, c’est-à-dire démontrer que la responsabilité d’un tiers est engagée et que la victime de l’accident bénéficie du droit d’être indemnisée. Ce sera tout particulièrement le cas en matière de responsabilité médicale, le médecin ou l’établissement de santé n’admettant pratiquement jamais automatiquement et sans expertise que leur responsabilité est engagée.
Il faut donc distinguer suivant que le droit à indemnisation est contesté ou non.
1 – Lorsque la voie contentieuse est nécessaire pour faire reconnaître le droit à réparation.
Il y a, dans ce cas, deux possibilités :
- Saisir le juge du fond pour que soit établie la responsabilité du tiers. Le juge du fond étudiera le dossier de manière approfondie pour déterminer les responsabilités en jeu. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’un accident du travail, le juge examinera la responsabilité de l’employeur afin de déterminer s’il a commis une faute inexcusable permettant alors au salarié d’obtenir l’indemnisation de tous ses préjudices. Autre exemple, la victime d’une chute de télésiège dans une station de ski essaiera de démontrer un manquement du personnel qui n’a pas arrêté le mécanisme à temps, voire un dysfonctionnement du remonte-pente.
- Saisir le juge des référés afin d’organiser une expertise médicale judiciaire. Le juge des référés n’étudie pas l’affaire de manière approfondie, il se contente de statuer sur ce qui est évident, d’où son surnom de juge de l’évidence (la distinction juge des référés/juge du fond fera l’objet d’un article ultérieur). Ainsi, en matière d’accident médical, les responsabilités ne peuvent pas être établies sans qu’une expertise médicale soit ordonnée. Dans ce cas, la seule voie possible est la voie du référé. Dans d’autres hypothèses, il peut être tentant de solliciter une expertise médicale pour établir les préjudices du demandeur, alors que la responsabilité du tiers n’est pas démontrée, et ne peut l’être que devant le juge du fond. Il peut être alors souhaitable de saisir le juge du fond de manière concomitante. Ceci permet de gagner du temps, mais présente un risque certain: avoir engagé des frais importants pour l’expertise, et perdre le débat devant le juge du fond.
2 – Lorsque le droit à réparation n’est pas contesté, la voie transactionnelle est une possibilité qui ne doit pas être négligée.
Néanmoins, même dans cette hypothèse, il faut distinguer deux étapes importantes de la procédure: l’expertise médicale, qui vise à évaluer les dommages causés par l’accident, et la liquidation du préjudice, sur la base du rapport d’expertise.
En ce qui concerne l’expertise médicale, il est fréquent de passer par une phase amiable, au cours de laquelle chacune des parties missionne un médecin-conseil afin de procéder à une réunion d’expertise. Lorsque l’organisation d’une expertise médicale avec une compagnie d’assurance s’avère compliquée, il faut alors saisir le juge des référés pour qu’un expert judiciaire soit désigné. Ce sera notamment le cas lorsque la compagnie ne donne pas suite à la demande, ou désigne un médecin-conseil ayant mauvaise réputation (la victime bénéficie d’un droit de récusation du médecin-conseil adverse). Il arrive également que les médecins-conseils soient en désaccord sur l’évaluation des dommages. Ici encore, la meilleure solution est parfois de solliciter une expertise médicale judiciaire pour mettre fin au litige.
En ce qui concerne la liquidation des préjudices et l’indemnisation en elle-même, la voie transactionnelle est possible et permettra généralement une indemnisation plus rapide qu’au contentieux. Toutefois, tout dépend de l’importance du préjudice. Il est généralement relativement aisé de parvenir à un accord pour les préjudices peu élevés (jusqu’à 10% de déficit). La compagnie d’assurance du responsable n’a alors que peu d’intérêt à mandater un avocat dont les honoraires seront importants par rapport au montant de l’indemnisation à prévoir, et souhaitera mettre fin au litige dans des conditions qui pourront être satisfaisantes pour une victime défendue. En revanche, parvenir à un accord pour les préjudices les plus graves (surtout lorsqu’il existe une incidence professionnelle avec pénibilité, dévalorisation sur le marché du travail, perte de chance professionnelle) sera généralement beaucoup plus difficile. La victime devra alors revoir ses exigences à la baisse si elle souhaite obtenir une indemnisation rapide par le biais d’une transaction, et il pourra être plus intéressant pour elle de saisir un tribunal.
En définitive, les voies transactionnelles et contentieuses offrent des avantages et des inconvénients et le choix se fera généralement au cas par cas, à l’exception de la phase d’expertise amiable qui doit être privilégiée, sauf en cas de complication.
Règlement à l’amiable ou judiciaire : où est l’intérêt de la victime ?
En fait, le choix entre l’amiable ou le judiciaire repose sur la question évidente: où est l’intérêt de la victime. Et pour bien estimer cet intérêt, il faut aussi intégrer le facteur « temps ».
Dans une procédure d’indemnisation du dommage corporel, un avocat de la victime lui dira toujours de prendre patience. Les délais d’indemnisation sont longs, surtout s’il faut aller jusqu’en appel pour obtenir le juste dédommagement de la part de l’assureur.
Pour aller plus vite, on peut être tenté d’accepter une proposition rapide. Il arrive que la compagnie d’assurance offre une somme en apparence alléchante à la victime pour éviter une procédure longue… et surtout pour ne pas risquer de payer plus cher à la sortie d’un tribunal. En général, en tant qu’avocat des victimes, je recommande de ne pas accepter ces propositions. Plus l’assureur va vite, moins il va dans votre sens…
Toutefois, dans certains cas, cette solution à l’amiable peut s’avérer intéressante. Je vous en donne un exemple.
Un cas réel : victime jeune, accident lourd de conséquences
J’ai reçu le dossier d’une jeune fille de moins de 20 ans, qui venait de subir un accident de la circulation en tant que passagère d’une voiture. Un traumatisme crânien lourd l’a plongée dans le coma pendant une dizaine de jours.
Des suites de l’accident, elle a souffert de séquelles cognitives importantes : problèmes de concentration, troubles de la mémoire, lenteur, apathie, etc.
Or, cette jeune fille (qui n’avait pas le bac), venait de commencer une première année d’études. Elle était entrée en capacité de droit. C’est une passerelle pour les jeunes étudiants non-bacheliers, qui leur permet de rejoindre par la suite la filière du droit. Elle espérait faire carrière, travailler à temps plein, obtenir d’assez bons revenus compte-tenu du domaine où elle s’orientait.
Mais avec l’accident, tout s’est arrêté pour elle.
Impossible de reprendre ses études ou de travailler. Quelques années après l’accident, elle se trouvait sans emploi ni qualifications, avec un peu plus de 20% de séquelles de son traumatisme crânien. Ce qui est suffisant pour la pénaliser au niveau professionnel.
L’assureur ne reconnaît pas le préjudice professionnel
Le problème qui s’est posé ici pour son indemnisation est malheureusement assez fréquent. L’assureur n’a pas voulu reconnaître que ma cliente souffrait d’un préjudice professionnel.
Autrement dit, il considérait qu’il n’avait pas à indemniser ses futures pertes de revenus. Pour l’assureur, ma cliente pouvait encore travailler et, comme elle commençait à peine ses études, rien ne démontrait qu’elle aurait gagné un meilleur salaire en poursuivant dans cette voie. Elle n’avait pas le bac, suivait une filière « passerelle », ces points étaient sensibles dans son dossier. Difficile de prouver, à ce stade, qu’elle aurait absolument fait une brillante carrière dans le domaine juridique. On ne pouvait que supposer.
Néanmoins, il y existait bien une perte de chance. Ma cliente avait sans aucun doute de meilleures capacités de gains financiers avant son accident. Aujourd’hui encore, elle est diminuée et cet état de santé pèsera définitivement sur ses possibilités de retravailler.
La première étape du dossier : tenter une transaction
Même si j’insiste parfois pour aller plus loin que la simple proposition amiable dans un dossier d’indemnisation, je tente toujours une transaction avec l’assureur dans un premier temps. J’essaie au minimum de savoir ce qu’il propose d’emblée, en tenant compte de tous les éléments du dossier.
Dans le cas de cette cliente, l’assureur a émis une première offre d’indemnisation d’environ 500 000€. Une somme impressionnante lorsqu’on a été victime de dommages corporels et qu’on s’aventure dans une longue procédure. Cet article vous conseille sur la façon de gérer ces sommes et provisions sur indemnisation.
Mais comme il manquait la reconnaissance du préjudice professionnel, j’ai préféré assigner l’assureur devant le tribunal judiciaire. On demande ainsi au juge de trancher.
Une nouvelle proposition amiable : pourquoi elle peut être intéressante
Dans ce dossier, au bout d’un an de procédure, l’assureur est revenu vers nous avec une nouvelle proposition à l’amiable.
Cette fois, il proposait à ma cliente d’indemniser sa perte de revenus futurs à raison de 600€ par mois, à titre viager. Cela prenait en compte ses revenus jusqu’à la retraite, puis au-delà. C’était, selon moi, une offre acceptable pour plusieurs raisons :
- Ma cliente pouvait retravailler, mais sans doute à mi-temps et avec un revenu diminué. Cette offre lui permettait de compenser sa rémunération tout au long de sa future carrière.
- Considérant qu’elle débutait seulement ses études et n’était pas bachelière, son dossier ne nous permettait pas de défendre l’hypothèse d’une longue et brillante carrière avec certitude.
On arrivait à une offre finale de 900 000€, soit quasiment le double de ce qui était proposé au départ.
Nous avons donc accepté cette proposition, plutôt que de poursuivre la procédure au tribunal.
La victime a ainsi pu toucher son indemnisation rapidement, évitant l’attente de l’appel. Poursuivre en appel peut ajouter en moyenne deux ans à un dossier. Avec l’incertitude de pouvoir garder les sommes perçues en provisions tout au long de la procédure.
Parfois, en transigeant vite, on débloque une somme légèrement inférieure à celle qu’aurait perçu la victime dans un cadre judiciaire… Mais comme elle touche ce montant plus tôt, elle peut l’investir plus tôt, en faire fructifier une partie si elle le souhaite, et arriver ainsi à une somme équivalente ou supérieure.
Une réponse
sensationnelle article, merci bien.