Vous avez peut-être lu ce nom sur Internet, ou vous l’avez entendu prononcé par votre avocat ? Victime ou proche de victime, si vous en êtes à vous renseigner sur le « référentiel Mornet », c’est mauvais signe.
Le référentiel Mornet s’adresse aux magistrats, aux assureurs (ou aux régleurs) et aux avocats du droit du dommage corporel. Il sert à harmoniser les décisions de justice en matière de préjudice corporel. Concrètement, on pourrait être tenté d’interpréter cela comme une façon d’accorder la même indemnisation à toutes les victimes de dommage corporel. Avec un risque de nivellement par le bas. Pourrait-on alors imaginer qu’une victime tétraplégique après une agression reçoive les mêmes indemnités qu’une victime d’accident du travail léger ? Pas exactement…
Cela semble compliqué ? C’est normal, le référentiel Mornet est un indicateur pour les professionnels du préjudice corporel. Une grille de lecture qui ne s’adresse pas au grand public. Ce qui suit devrait vous aider à vous situer.
Pourquoi parle-t-on de « barèmes » et de « référentiels » ?
En droit du dommage corporel, les professionnels doivent faire cohabiter deux réalités en apparence contradictoires.
- D’une part, le caractère individuel des cas. Chaque nouvelle victime représente un cas singulier, qui doit être évalué comme tel.
- D’autre part, l’harmonisation des méthodes et des outils d’indemnisation. En effet, un certain nombre de dossiers d’indemnisation remontent devant un juge. Il doit alors arbitrer entre la victime et le régleur de celui qui dont la responsabilité civile est engagée (généralement la compagnie d’assurance avec qui il a établit un contrat) qui ne s’entendent pas sur le montant des réparations. Et chaque magistrat s’appuie sur des références et des outils pour rendre sa décision. La jurisprudence de sa cour d’appel, la nomenclature Dintilhac, les barèmes médicaux, qui sont tous indicatifs. Ce qui peut donner des décisions finales très différentes d’une cour à l’autre.
Avocat, expert-comptable de l’assureur, médecin-conseil, magistrat et expert médical mandaté par un juge, tous s’appuient sur des barèmes ou référentiels. Des documents et informations indicatifs, qui les guident dans leur évaluation du préjudice corporel et son indemnisation.
Ces textes sont bien des références, dont chaque professionnel tient compte à sa façon.
Individualisation : qu’est-ce que ça veut dire ?
Prenons une victime d’accident de vélo, qui réside en banlieue parisienne. Un homme de 37 ans, non marié, père de 2 enfants, en profession libérale et membre d’une équipe de football semi-professionnelle. Des suites de son accident, cet homme ne peut plus remarcher ni exercer sa profession.
Autre cas, celui d’une femme de 68 ans, elle aussi victime d’accident de vélo. Elle est veuve avec une petite retraite, réside dans le Puy-de-Dôme et devra recevoir des soins à domicile à vie.
Ces deux victimes d’un accident – en apparence similaire – représentent en réalité des cas très différents. Chacun voit sa vie affectée de manière différente par les séquelles de l’accident.
Pour l’un, on prendra en compte les pertes de gains professionnels futurs et le préjudice d’agrément, liés à sa perte d’emploi et son incapacité à pratiquer son activité sportive. Pour l’autre, des frais de logement adapté et l’assistance par tierce-personne.
La différence d’âge comptera également dans les projections futures à indemniser. Projections qui sont souvent considérées par les assureurs comme subjectives et se défendent mieux, par ailleurs, devant une cour de Justice.
Leurs conditions de vie avant l’accident et leur lieu de résidence doivent également peser dans la balance de leurs indemnités.
Tout cela constitue le caractère individuel des dossiers d’indemnisation.
Harmonisation : qu’est-ce que ça veut dire ?
Disparité dans les indemnisations
Cela a été constaté depuis de nombreuses années : les disparités des décisions rendues sont très grandes entre les différentes cours d’appel. Autrement dit, deux dossiers en apparence similaires ont de grandes chances d’être indemnisés très différemment entre Strasbourg et Paris.
Cela s’explique, d’une part, par les différences du coût de la vie dans chaque région. En effet, les frais et partes d’une victime en Île de France sont sensiblement plus élevées que ceux d’une victime dans le Puy-de-Dôme.
D’autre part, chaque cour d’appel utilise son propre référentiel, ses propres outils. Certains référentiels (comme la Nomenclature Dintilhac) sont notamment nécessaires pour évaluer des préjudices dits subjectifs. Comme par exemple le déficit fonctionnel permanent, le préjudice d’établissement, les souffrances endurées, ou encore le préjudice esthétique.
Méthodologie et évaluation, il existe jusque dans les années 2010 de trop grandes divergences entre cours d’appel.
Harmoniser les barèmes : pourquoi c’est compliqué
Ces divergences sont problématiques. Les experts s’interrogent dans les années 2010 sur la possibilité de créer un référentiel commun.
Un nouveau dilemme apparaît alors : où réside l’indépendance du juge s’il ne fait que suivre un barème contraignant ?
Et si l’on décide que la mort d’un parent s’indemnise systématiquement à 10 000€, ne perd-on pas ce qui fait la spécificité de chaque cas ?
C’est là qu’apparaît le référentiel Mornet (en 2013). Il s’agit en réalité d’un outil indicatif qui sert de méthodologie aux magistrats. Ce référentiel offre en fait aux professionnels de l’indemnisation du dommage corporel des curseurs pour se repérer dans chaque dossier. Mais il n’est ni contraignant, ni systématique. Ce n’est qu’une moyenne des indemnités allouées par les cours d’appel, partout en France.
Il ne s’agit donc pas de décréter que toutes les victimes d’accident de vélo recevront systématiquement la même indemnisation, partout en France. Au contraire, les tarifs d’indemnisation font l’objet d’une mise à jour régulière afin de mieux répondre à une situation Donnée de contentieux d’indemnisation du préjudice corporel. La plus récente mise à jour concerne notamment la revalorisation du point du Déficit Fonctionnel Permanent en 2021.
Vous vous renseignez sur le référentiel Mornet ?
Si vous êtes vous-même victime ou proche de victime, vous ne devriez jamais entendre parler de ce référentiel Mornet. Du moins, en principe.
Si vous avez vous-même poussé l’investigation jusqu’à ce document, vous avez probablement besoin d’aide. Il vous paraît peut-être intéressant de comprendre à quoi il sert, mais ce document reste à l’usage exclusif des professionnels du dommage corporel. Ce savoir ne devrait donc pas vous servir si vous êtes en procédure de demande d’indemnisation.
N’hésitez pas, si c’est le cas, à contacter un avocat pour exposer votre situation. Il est peut-être encore temps d’obtenir une juste indemnisation. Et vous n’aurez sans doute pas besoin de pousser plus loin vos recherches.