Hadrien Muller, avocat préjudice

Avocat spécialisé en préjudice corporel

Diplômé en évaluation des traumatismes crâniens

Préjudice trottinette : êtes-vous la victime augmentée d’un piéton augmenté ?

Table des matières

La trottinette ? Vous ne l’aviez peut-être jamais vue comme dangereuse… Et pourtant elle vous a causé un sérieux préjudice corporel, voire vous a laissé des séquelles ? Vous n’aviez pas pensé qu’un accident de trottinette électrique puisse vous marquer autant, et c’est sans doute lié au fait que personne ne prend au sérieux un outil qui porte un nom de jouet.

En juin dernier, une étude réalisée par la société 6T auprès des « trottinettistes » parisiens, arrivait à une conclusion étonnante. « Au fond, l’utilisateur de trottinette, se comporte comme un « piéton augmenté », un piéton qui fait ce qu’il veut, quand il veut. Ce qui est logique, lorsqu’il va à 3km/h ou 4 km/h.
Mais qui commence à être sérieusement gênant à 25 km/h ».

En passant de simple piéton à sa version accélérée, le conducteur devrait adapter son comportement à sa vitesse.
Malheureusement, le piéton augmenté s’ignore. Vous risquez donc d’être sa victime augmentée (voire votre propre victime, si vous êtes vous-même le conducteur).

Préjudice trottinette : à quoi pense le piéton augmenté ?

Comme lors de l’arrivée des Vélibs en France, les nouveaux conducteurs de trottinettes sont en fait des piétons qui veulent aller plus vite. Et, comme les nouveaux cyclistes de l’époque du Vélib, ils ne savent pas spécialement conduire en ville. Mais cela ne les inquiète pas, puisqu’ils ne se perçoivent pas comme conducteurs, mais plutôt comme un genre de « super piéton ».

Le « statut » de piéton est le plus naturel du monde et, a priori, le moins dangereux. C’est d’ailleurs pour cela que les compagnies d’assurances ne s’embarrassent pas de contrats de Responsabilité Civile pour assurer un piéton : il ne risque pas de renverser quelqu’un dans la rue, c’est généralement lui la victime. A priori.

De super piéton…

En tant que piéton, les seules obligations à respecter sont celles de ne pas se faire renverser. À part cela, c’est l’usager le plus libre de la voie publique. Et quoi de plus grisant, dans l’exercice de cette liberté, que de pouvoir se saisir de n’importe quel accessoire en libre-service pour vivre deux fois plus vite ?

Jusqu’à très récemment, les seuls usagers assimilés au piéton étaient les utilisateurs de rollers et skateboards, ces piétons « juste un peu plus rapides ». Ils peuvent rouler sur le trottoir (jusqu’à 6km/h) et sur la chaussée si le trottoir est encombré. La trottinette sans moteur entrait alors dans la même catégorie…

… à conducteur de véhicule

Mais en ajoutant un moteur, elle est devenue un véhicule au yeux de la loi. Et aux yeux de la loi seulement, semble-t-il. En effet, ses usagers continuent de l’employer comme un simple outil d’accélération de leur vie de piéton. Soit avec tous les droits et priorités du piéton, à qui l’on ne fait pas porter de casque, qui roule là où ça l’arrange et hors du Code de la route. Néanmoins, sur un bolide qui peut monter jusqu’à 60 km/h, ce piéton n’a plus rien d’inoffensif et le préjudice trottinette s’annonce plus important.

Comment la loi tente de réduire ce piéton augmenté

La loi a choisi de faire porter la responsabilité au piéton qui se sent libre d’attraper une trottinette en libre-service et d’arpenter les rues comme bon lui semble. Plus qu’aux compagnies de location par exemple. Et cette liberté totale a trouvé ses limites.

Depuis le décret du 23 octobre 2019, les trottinettes ne sont plus des ORNI (Objets Roulants Non Identifiés). Elles sont entrées dans le Code de la route en tant que nouvelle catégorie de véhicule : sorties de la famille des vélos et rollers, ce sont désormais des « engins de déplacement personnel » (EDP). Plus précisément, des EDP motorisés.


Par décret, voici que vous ne pouvez plus faire en trottinette électrique :

  • Conduire une trottinette si vous avez moins de 12 ans ;
  • Voyager à deux (ou plus), ce qui arrangeait pourtant bien les utilisateurs qui rentabilisaient ainsi son prix (1€ de location et une facturation à la minute, plus cher qu’un ticket de métro, mais bien moins qu’un taxi) ;
  • Vous faire remorquer par un autre véhicule ;
  • Tracter une charge ou un véhicule (comme un ami en roller, par exemple) ;
  • Dépasser 25km/h ou utiliser une trottinette dont le moteur peut dépasser 25km/h (sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 1 500€).
  • Circuler sur le trottoir (sauf autorisation exceptionnelle).

Sur le papier, la trottinette n’est donc plus un jouet pour enfant. Le papier tient compte du préjudice trottinette. Dans les faits, c’est une évidence pour tout le monde, sauf encore pour beaucoup de ses utilisateurs…

Le piéton augmenté dans le collimateur des assurances

En montant sur une trottinette électrique, le piéton devient surtout, juridiquement « piéton motorisé ». Il devient donc un potentiel danger, tout en continuant à se percevoir comme le piéton qu’il n’est plus. Soit comme l’usager le plus fragile alors qu’il est désormais capable de créer des accidents de la circulation. Et cela a évidemment un impact sur le processus d’indemnisation.

Les compagnies d’assurances ont justement choisi de jouer sur ce détail dans leur volonté de maîtriser le coût du préjudice trottinette. Jusqu’à récemment, les assureurs refusaient d’indemniser le préjudice corporel résultant d’un accident de trottinette.
Motif : en tant que véhicule motorisé, la trottinette tient plus du scooter ou de la moto. Il lui faudrait donc un contrat spécifique pour intégrer le préjudice trottinette.

Les compagnies d’assurance refusant la prise en charge, l’indemnisation du dommage dépendait donc presque exclusivement de tiers payeur publics (le Fonds de garantie). Par ricochet, l’indemnisation des victimes d’accidents de trottinettes est devenue le problème de tous les citadins.

Les mêmes risques que les autres conducteurs de véhicules

Et cette indemnisation peut coûter cher ! Aussi cher que se chiffre tout préjudice lié à un accident de la circulation. En effet, sur la route, le conducteur de trottinette électrique s’expose aux mêmes risques que les autres conducteurs de véhicules. Préjudice d’agrément, préjudice esthétique, perte de chance ou perte de gains professionnels, déficit fonctionnel permanent, préjudices extra patrimoniaux, Pretium doloris, préjudice d’anxiété, préjudice professionnel, frais médicaux et dépenses de santé, etc. : les préjudices subis et les barèmes sont les mêmes. De même que les souffrances endurées, psychiques ou physiques, qui peuvent déboucher sur une incapacité (comme cette pianiste privée de la souplesse de ses doigts).

Dès lors, il est évident qu’on ne peut plus considérer la trottinette électrique comme un jouet pour enfant. Maintenant qu’elle est reconnue comme véhicule et possible cause de sérieux dommages corporels avec des postes de préjudices coûteux, les assureurs peuvent avoir tendance à exclure les « engins de déplacement personnel » (EDP) de leurs contrats.

L’idéal serait désormais que ces piétons augmentés reçoivent une formation (même très courte). Et qu’ils n’oublient pas que, sur la chaussée, tout le monde peut être victime d’un accident de la route… Ou en causer un !

Préjudice trottinette : lire l'interview d'Hadrien Muller dans Les Echos
Pour approfondir le sujet, lire également cette interview que j’ai accordée aux Echos en juin 2019, avant la publication du décret
Image de Maître Hadrien MULLER

Maître Hadrien MULLER

Avocat en préjudice corporel - Diplômé en évaluation des traumatisés crâniens
Maître Hadrien Muller est avocat au barreau de Paris. 
Il intervient pour la défense des victimes d’accident corporel en région parisienne et dans toute la France.

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