Moins de chances de fonder une famille. Peu de probabilités de retrouver un ou une partenaire. Parler de préjudice d’établissement, c’est faire des conjectures sur les perspectives familiales d’une victime de dommage corporel. C’est évaluer ses chances, dans l’avenir, d’accéder à cette vie après son accident corporel (ou agression).
Ce poste de préjudice comporte forcément une part de subjectivité. C’est ce qui le rend difficile à indemniser. C’est aussi ce qui permet souvent au responsable payeur de tenter de le glisser sous un autre poste de préjudice. Mais c’est une erreur. Le préjudice d’établissement existe bel et bien de façon autonome et toute victime a le droit à l’examen et la reconnaissance de ses pertes de chances futures.
Préjudice d’établissement ou préjudice sexuel ?
Au sein de la nomenclature Dintilhac, qui liste les postes de préjudices à indemniser, on trouve deux cas particuliers que l’on confond parfois et qui n’ont pourtant pas grand-chose à voir.
Le préjudice sexuel et le préjudice d’établissement. Ils constituent tous les deux des préjudices extra-patrimoniaux, et leur évaluation dépend de l’âge de la victime et de la caractérisation du préjudice. Mais, en-dehors de cela, ils concernent deux réalités distinctes.
Préjudice d’établissement
Le préjudice d’établissement est lié à la perte d’espoir. On évalue les chances de la victime d’accéder à une vie familiale « normale » après le constat de ses préjudices corporels permanents.
La définition exacte de la Cour de cassation est la suivante :
« indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteinte la victime après sa consolidation. Il s’agit de la perte d’une chance de fonder une famille, d’élever des enfants et, plus généralement, des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui la contraignent à certains renoncements sur le plan familial »
Cela peut recouvrir des cas tels que : impossibilité de procréer et donc rupture du projet familial et séparation du ou de la conjointe, difficulté à trouver un ou une partenaire dans une situation de handicap très lourde (victime défigurée, amputée, en fauteuil roulant…).
Préjudice sexuel
Ce poste de préjudice recouvre plusieurs choses. Il ne s’agit pas de la perte d’espoir de fonder une famille mais des affections de la sexualité.
On prend en compte l’aspect purement physique, morphologique, d’une part (l’atteinte aux organes sexuels). On tient compte, d’autre part, des possibilités de procréation de la victime dans l’avenir (sur un plan purement technique et physique, distinct de l’affection de sa vie de famille).
Enfin, un point plus subjectif (car invisible) doit aussi être examiné au titre de ce préjudice : l’atteinte à la libido. Il est difficile d’évaluer le degré de plaisir lié à l’acte sexuel et son évolution dans le temps. Néanmoins, certains préjudices corporels laissent des traces qui peuvent entraîner une perte certaine de la libido (traumatisme crânien grave, handicap physique lourd…). Et tout cela peut s’indemniser sur l’échelle d’une existence entière.
Pourquoi vous parle-t-on de « DFP » (déficit fonctionnel permanent) ?
Jusqu’en 2012, il était courant que l’on associe le préjudice d’établissement au déficit fonctionnel permanent.
Lors de la procédure d’indemnisation, le payeur pouvait notamment arguer que les questions liées au préjudice d’établissement étaient à la fois difficiles à prouver et, de plus, déjà couvertes par le DFP.
Prenons un exemple
Une victime d’accident de moto se trouve amputée d’une jambe, sa colonne vertébrale est touchée, sa motricité limitée. Après consolidation de son état de santé, il apparaît que ce monsieur passera sa vie en fauteuil roulant. L’expertise médicale conclut à un très fort déficit fonctionnel permanent. Le rapport reconnaît ainsi une incapacité lourde de la victime, qui devrait justifier un montant de réparations conséquent.
Devant un tribunal, le juge considère que les bouleversements de la vie sociale et familiale de la victime sont reconnus dans cette indemnisation du déficit fonctionnel permanent. Il ne va donc retenir que ce poste-là. Il considère également qu’il est difficile de prouver l’incidence du handicap sur la future vie familiale ou amoureuse de la victime.
Depuis un arrêt de la Cour de cassation de janvier 2012, cette victime motard peut arguer devant le juge que le préjudice d’établissement est bien distinct et autonome du DFP. Et que, par ailleurs, chaque poste de préjudice de la nomenclature Dintilhac doit faire l’objet d’un examen et d’une indemnisation séparés.
Néanmoins, il est très probable que le payeur (compagnie d’assurance, Fonds de Garantie) essaye toujours de dissimuler un préjudice d’établissement derrière un autre poste, et donc minimise le montant de l’indemnisation de la victime.
Comment indemnise-t-on le préjudice d’établissement ?
On parle ici de prévoir une perte d’espoir ou de chance. Il est donc délicat d’indemniser correctement ce préjudice sans une bonne défense.
En effet, il faut d’abord étudier la situation amoureuse et familiale de la victime avant l’accident, depuis l’accident, et enfin tirer des projections sur l’avenir. Il faut aussi évaluer les conséquences de ces bouleversements. Et il faut encore pouvoir chiffrer, sur la durée de vie estimée de la victime, cette perte de chance sur les années à venir. Ce qui suppose de réaliser un calcul différent et délicat selon chaque cas. Âge, situation maritale, gravité du handicap, types de préjudices subis…
Tout cela requiert l’intervention d’un expert dans le droit du dommage corporel. C’est pourquoi il est fortement recommandé, souffrant de lourdes séquelles d’un accident, de vous faire accompagner d’un avocat spécialisé. Son écoute attentive et son expertise feront valoir vos droits au titre du préjudice d’établissement si c’est nécessaire. Vous n’êtes pas qu’un numéro.
Pour mieux comprendre à quoi correspondent tous ces préjudices, lisez-en plus ici sur la nomenclature Dintilhac.