Dans un dossier d’indemnisation du dommage corporel, on parle naturellement de chiffres. Il s’agit de mettre des euros sur la souffrance de la victime d’un accident. Et le préjudice moral, dans tout ça ? Que fait-on de votre affect ?
En effet, si les médecins, les assureurs, les avocats et les tribunaux parviennent à s’accorder sur les conséquences visibles de l’accident sur la victime et sur ses proches (préjudices corporels et économiques), il est encore difficile de faire reconnaître les souffrances morales endurées. S’il est évident que l’humain n’est pas qu’une machine abîmée par l’accident, comment peut-on chiffrer ce qui relève de l’invisible, du sensible et du moral, sans tomber dans le piège de la subjectivité ?
Comment met-on des chiffres sur un changement de personnalité ? Sur la perte de qualité de vie ?
Quelle indemnisation peuvent obtenir les victimes de dommage corporel au titre d’un préjudice moral ? À Paris ou ailleurs, elle doit forcément passer par l’intervention d’un avocat spécialiste en préjudice corporel.
Le préjudice moral : une affaire de médecin ? Ou d’avocat en préjudice corporel ?
Pour évaluer la souffrance des victimes d’accident corporel, on avait avant recours au « Pretium doloris » (« le prix de la douleur »). Depuis l’apparition de la nomenclature Dintilhac en 2005, on parle plutôt de « souffrances endurées », pendant la période d’évolution de l’état de santé de la victime, jusqu’à la consolidation. Soit durant le temps qu’elle prend à récupérer physiquement et psychiquement après son accident, jusqu’à ce que son état général se stabilise.
Mais le hic, c’est que cette histoire de souffrances apparaît lors de l’examen médical de la victime, et que le médecin a des critères d’évaluation précis. Le temps d’hospitalisation, le nombre d’interventions chirurgicales, le besoin de soutien psychologique, la durée, les traitements, etc. Et là, il s’appuie sur des données objectives, en oubliant au passage ce qui fait la spécificité de cette victime.
Autrement dit, cet examen d’expertise médicale laisse de côté tout un pan des souffrances de la victime : ses souffrances morales. Pour que des questions morales voire existentielles fassent leur entrée dans un dossier d’indemnisation, il faut l’intervention d’un avocat, et d’un tribunal.
On indemnise bien les autres…
… Mais pas tant les victimes directes.
Le préjudice moral apparaît dans les postes de préjudice extrapatrimoniaux listés dans la Nomenclature Dintilhac… Pour les accompagnants ! On parle du préjudice d’accompagnement, qui indemnise le préjudice moral d’un proche durant le processus de soin de la victime. Il existe également le préjudice moral d’affection, soit la difficulté (pour les proches de la victime) de voir cette personne souffrir, ou les souffrances liées au décès du proche. Il existe aussi les troubles dans les conditions d’existence subis par le proche lorsque la victime, avec qui elle vit, se trouve très diminuée de façon définitive.
Ainsi, les tribunaux reconnaissent la souffrance des proches, de ceux qui subissent la maladie de la victime, son amnésie, ses changements d’humeur et de personnalité liés par exemple à un traumatisme crânien grave, la douleur de la voir désormais diminuée et en fauteuil roulant… Mais la victime, elle, doit se battre pour que l’on prenne en compte son propre affect moral. Ce qui veut dire que l’on considère plus facilement la souffrance morale des victimes indirectes et victimes par ricochet que celle de la victime directe.
Un préjudice peut en cacher un autre
Si les assureurs – puis les tribunaux – refusent en fait d’indemniser le préjudice moral en lui-même, c’est qu’ils considèrent la plupart du temps qu’il est déjà compris dans un autre poste de préjudice.
Le préjudice esthétique permanent, qui indemnise les modifications de l’apparence physique de la victime, comporte une partie d’affect moral. Il en va de même pour le déficit fonctionnel permanent, qui doit réparer une nouvelle incapacité physique, un blocage corporel définitif qui bouleversera la vie « normale » de la victime ; ou encore le préjudice d’établissement, le préjudice sexuel et les souffrances endurées. Il existe également un préjudice spécifique liée à l’angoisse de la mort imminente, lorsque la victime, dans un accident, voit la mort « en face ».
Affect versus machine
Le problème ici, c’est que ces postes de préjudice sont chiffrés de manière rationnelle. Les préjudices dits « patrimoniaux » (les dépenses de santé, la perte de revenus, l’incidence professionnelle, etc.) se calculent de façon mathématique. Les « extrapatrimoniaux » reposent normalement sur une évaluation plus subjective. Et pourtant, ils s’arrêtent à la limite du moral : comme si l’on considérait qu’il fallait considérer la victime comme une machine à qui on a retiré son affect. Simplement parce qu’on ne sait pas du tout comment lui coller le bon chiffre.
Qu’est-ce que le préjudice moral en réalité ?
Un accident de la route, accident de la vie courante, accident médical ou autre aura plusieurs types de conséquences sur la victime. Il lui causera des dommages physiques et psychologiques relativement identifiables, pour commencer.
Mais si l’on prend seulement en compte ces critères-là, on se limite à considérer la victime comme une machine, dont on peut lister les dysfonctionnements techniques et visibles.
Or, chaque accident, outre le traumatisme qu’il peut générer en soi, influe d’une façon bien plus profonde sur l’état de la victime. Il influe sur son état moral. Qu’elle garde des séquelles physiques, psychiques, ou les deux, sa vie porte une brisure indélébile après l’accident.
Chaque victime souffre de se voir diminuée dans ses capacités habituelles, alitée, gênée dans ses mouvements, elle souffre de son incapacité à poursuivre un travail ou à retrouver une vie intime « normale », elle souffre de la perte de certaines facultés essentielles (parole, mémoire, vue).
Identité et dignité de la personne
Par ailleurs, au-delà de ces affectations « techniques », elle souffre de la perte de son identité. Son image sociale a été endommagée. On l’a vue affaiblie, parfois défigurée, et ce regard lui coûte. Si elle a perdu son travail ou n’a pas pu travailler pendant un temps, elle a perdu une part de son statut professionnel, de cette personnalité qui la constituait, en même temps qu’un réseau qu’elle a construit avec le temps.
Pour ses proches, la victime a été un poids pendant son temps de consolidation – voire peut le rester par la suite. Et cette déconsidération de soi doit aussi être prise en compte comme une altération de sa personnalité.
En réalité, derrière le préjudice moral repose une réparation de la dignité de la personne.
Finalement, à combien peut-on être indemnisé pour le préjudice moral ?
Tout dépend des juridictions. À Paris, Caen, Nantes, Toulouse ou Lyon, les jurisprudences établies ne sont pas les mêmes… Oubliez donc les barèmes en ligne qui semblent rassurants. Votre avocat en dommages corporels reste l’unique expert et connaisseur du contexte législatif capable de suggérer un montant cohérent dans votre cas précis.
Et puisque, par ailleurs, il s’agit d’un préjudice subjectif, les indemnités versées au titre de la reconnaissance de toutes les souffrances morales dépendront aussi des arguments de votre avocat devant le juge. Cela vaut le coup de poser la question et de vous faire aider, ne serait-ce que pour sentir que l’on a bien reconnu que votre vie – et votre personne – avait été profondément affectée.
Enfin, si vous avez des questions concernant la reconnaissance d’un préjudice moral, n’hésitez pas à contacter Me Muller, avocat au barreau de Paris spécialiste en droit du dommage corporel.